Extrait
6 heures
Je n’ai ni dormi ni sommeil, seulement envie de sortir ce matin comme s’il pouvait être le dernier, ou le premier, le signe de ma fin ou d'un début. “A” comme aube. “A” comme B.A. BA. Attribut du sujet. Ascolaire. Auto-accusation. Affaissement de terrain. “A” comme apparences. Absentéisme.
Pourtant aujourd'hui j’irai. Rien ne vaut une nuit blanche avant un travail détesté. Tout à l’heure, dans la pièce, face au public, j’endosserai mon personnage, acte après acte pédagogique. Dix-sept ans de métier : l’acteur a eu le temps de se roder. La vraie contrainte, c’est de me lever. Pour celui à qui répugne un gagne-pain funeste, le plus simple est encore de ne pas se coucher du tout deux ou trois nuits par semaine. Sitôt franchi le seuil de ma porte, le voile de l’insomnie descendra comme un alcool, transfusant dans la réalité les rêves dont je me suis privé, gommant l’inhibition, brouillant les ondes hiérarchiques... A overdoses mesurées, la fatigue est un sédatif, et soigne la tête par les pieds. J'ai ce privilège : aucun de mes désirs de mourir n'a jamais survécu deux heures aux aurores somnambules.
Ne me traitez pas de parasite. Je suis prof de lycée professionnel. Grâce à moi, les enfants de ceux qui me lisent font de meilleures études : je leur évite le mélange avec les gosses des pauvres et des immigrés. J ’y vais, et ne sais plus pourquoi.
Gilles Dauvé, 1997