J'aime l'araignée ...

Araignée Paon

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
   Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
   Leur morne souhait ;
 
Parce qu'elles sont maudites, chétives,
   Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
   De leur guet-apens ;
 
Parce qu'elles sont prises dans leur oeuvre ;
   Ô sort ! fatals noeuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
   L'araignée un gueux ;
 
Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
   Parce qu'on les fuit, 
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
   De la sombre nuit.
 
Passants, faites grâce à la plante obscure,
    Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
    Oh ! plaignez le mal !
 
Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;
     Tout veux un baiser.
Dans la fauve horreur, pour peu qu'on oublie
      De les écraser,
 
Pour peu qu'on leur jette un oeil moins superbe,
      Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
       Murmurent : Amour !

Victor Hugo (1802-1885), « J'aime l'araignée », Les Contemplations, Livre III, « Les luttes et les rêves », XXVII (1856)